SPITZBERG : Kayak au pays des ours

En ce début de millénaire le cap est au Nord, à l’extrême Nord ou au Sud, à l’extrême Sud. Ces terres oubliées ou difficiles d’accès ont le vent en poupe et sont à la carte de nombreux voyagistes.

Éloignement, beauté sauvage, lumières magiques, quête d’aventure sont les leitmotivs de ces destinations. Mais le danger rôde, le climat est souvent imprévisible et la faune reste sauvage. En aout 2011 une attaque d’ours sur un camp tua une personne et en blessa 4. Les conditions climatiques et un concours de circonstances nous empêchèrent d’arriver dans la zone de l’attaque mortelle le jour même où elle eut lieu…

 

Longyearbyen. La petite « capitale » du Spitzberg, tout commence ici ou presque. En face de l’aéroport, le camping. 5 km plus loin, la ville.

À peine débarqués et un magnifique spectacle s’offrent à nos yeux. De gros morceaux de banquise flottent dans la baie. Sous le soleil de minuit c’est magnifique, mais ce n’est pas très normal en cette saison. Les vents d'ouest, les ont ramenés du large bloquant l'entrée des fjords.

C'est exceptionnel. Ça arrive peut-être une fois tous les 10 ans. Et c’est là devant nos yeux empêchant toute navigation ou presque. Grand briefing avec notre guide, on change de destination. Exit la baie du roi et ses magnifiques glaciers pour lesquels nous avions tous choisi ce voyage. Trop loin, trop de glace en mer, on se rabat sur Billefjorden. Coup dur, sur la carte la zone est moins intéressante et le temps de navigation plus long laissera moins de place pour l’exploration à terre.

Un petit tour à pied en ville histoire de faire des provisions et à notre retour grosse frayeur et activité au camping. On apprend que deux ours sont passés sur la plage à moins de 100m des tentes. Normalement la zone est surveillée, mais ils sont arrivés par la mer, cachés par les glaces dériventes. Après plusieurs amorces de sécurités tirées dans leurs directions par les gardes, ils sont repartis au large. Dommage de les avoir loupés de si peu…

 

Les packages faits on charge les gros kayaks biplaces sur L'Aleigale voiler polaire de Niklas, le marin suédois sans peur qui se fraye un chemin entre les glaces dérivantes avec l’aide d’une de des amies en prou pour le diriger.Quelques heures de louvoiement plus tard on débarque sur le ponton désaffecté de la ville fantôme russe de Pyramiden au fond de Billefjord. Une courte visite de cette ancienne ville minière restée quasiment en l’état depuis les années 90 et on enfile les combinaisons de navigation. Avec elles, 20 minutes de survie avant hypothermie dans l’eau à 2°C du fjord. Sans elle, 4 minutes… Autant dire qu’il ne faut pas se retourner trop loin du rivage... On charge les kayaks à bloc de nourriture lyophilisée, de tente, d’affaires personnelles et de tout ce qui est nécessaire pour rester une dizaine de jours en totale autonomie. Seule l’eau douce manque à l’appel. On la trouvera sur le terrain.

Cela fait déjà plus de 20 heures sans repos depuis notre arrivée. Impossible de rester sur la zone de Pyramiden, le bivouac y est interdit. On embarque donc pour traverser la baie. On règle le safran (le gouvernail de ces gros kayaks qui se manipule aux pieds), première prise en main pour certains d’une pagaie, et c’est le départ pour Brucebyen notre premier camp de base à quelques encablures du glacier Nordenskiöldbreen.

La traversée se fait en quelques heures, sans encombre sur une mer calme. Malgré une fatigue grandissant, une fois près de la côte il faut établir le camp. On navigue encore pour trouver une source d’eau potable et on débarque. Il faut être au moins deux pour sortir les lourds kayaks de l’eau. Chargées à raz bord il faut les monter au-dessus de l’estran histoire de ne pas les voir naviguer seuls au large à marée montante. Ici il y a des règles à respecter pour monter le camp. Le grand tipi pour manger et à une soixantaine de mètres les tentes doubles pour dormir. L’ours est le principal danger. En cas d’approche, le chien est le meilleur moyen pour donner l’alerte, quand on n’en a pas, il existe des barrières avec système d’alarme, mais le plus sur reste la garde…

Je prends le premier quart. Deux heures à surveiller les environs, pistolet d’alarme à portée de main pour repousser l’ours en cas d’attaque et pour donner au guide le temps de sortir de sa tente avec le fusil à répétition anti-ours. Seules la visite d’un renard arctique et la splendeur du glacier ont entrecoupé la monotonie de cette première garde.

Le lendemain si l’on peut dire, car à cette époque le soleil ne se couche pas, on rentre dans le vif du sujet : l’itinérance en kayak. Cela veut bien dire ce que ça veut dire. Il faut se déplacer en kayak et entre temps monter et démonter des camps au fur et à mesure de la progression. Le choix du kayak est judicieux sur ce type de terrain. Il permet de déplacer une grande quantité de matériel et surtout de contourner les langues glacières par la mer. Sans lui il faudrait remonter assez haut à pied sur les moraines pour traverser les glaciers qui sont très nombreux ici et qui finissent quasiment tous dans l’eau des fjords. Rien n’empêche alors de monter un camp sur plusieurs jours afin d’explorer tranquillement une zone sans charge excessive sur le dos.

Le but nouveau de notre voyage est de rejoindre Longyearbyen dans le temps impartis de notre séjour tout en observant la faune, la flore et en faisant des randonnées. Mais voilà, en arctique rien n’est jamais comme sur le papier. L’arctique est roi. Après plusieurs journées de progression normale et une météo plutôt clémente, nous arrivons sur Phantomodden. Le vent forcit, nous accostons sur cette grande plage de galets jonchée de bois flotté pour monter le camp. Les rafales violentes rendent le montage du tipi très sportif et font moutonner les eaux du fjord. Après une nuit puis une journée complète d’attente, une légère accalmie nous donne l’espoir de reprendre la mer. L’embarquement se fait sans difficulté pour les premiers kayaks, mais pour les derniers, les vagues grossissent et l’eau passe par dessus les jupes, les creux se forment. Le vent nous pousse très vite et nous nous éloignons rapidement les uns des autres. En face de nous il y a une grande barrière de falaises à passer d’une traite sans moyen d’accostage. Interdis de chavirer dans une eau aussi froide et des kayaks si lourdement chargés. La mer se forme encore plus et le guide ordonne par signes de regagner la plage. Nous parvenons tous à accoster à moins de 1000m de notre précédent campement… Dur dur. Nous attendons encore une journée, mais la météo ne s’améliore guère. Cette perte de temps, il va falloir la rattraper en évitant l’exploration de Templefjord et son beau glacier notre prochaine étape prévue, et un des seuls vrais point d’intérêt de cette itinérance. Nous nous concertons. Nous voulons voir des belles choses et non pas perdre encore des jours sur cette plage de cailloux sans intérêt. Et puis à ce rythme nous ne serons jamais à Longyearbyen à temps. Il faut à chaque fois attendre la marée descendante pour profiter de son courant, et franchir cette barre de falaise sans prendre trop de danger tout en tenant compte du niveau physique des personnes du groupe. Le guide avait une consigne dans cette zone qu’il ne connaissait que sur les cartes. Ramener tout le monde saint et sauf. Après concertation, la décision fut prise, change de zone mais avant, rapatriement en voilier !

Échec vous allez me dire. Oui et non. Coup de chance peut-être, ou coup du destin. Le vendredi 5 août, vers 7h30, soit le lendemain de notre rapatriement, un ours polaire attaqua un camp de jeunes Britanniques dans leurs tentes pendant leur sommeil, tuant un adolescent de 17 ans et blessant 4 autres personnes avant d'être abattu. Cette attaque a eu lieu dans Templefjord, je jour ou nous devions y être si nous n’avions pas pris la décision du rapatriement…

L’ours qui les a attaqués était un mâle de 250 kg, et avait des dents très abîmées. « Sur deux des canines et plusieurs incisives, les nerfs étaient à vif. Cela a dû provoquer d'importantes douleurs et modifier le son comportement », a commenté le vétérinaire qui a examiné l'animal. Ces circonstances l'auraient poussé à se nourrir de végétaux plutôt que de ses proies habituelles, généralement des phoques. Affamé et souffrant, un ours est beaucoup plus imprévisible et agressif alors qu'en temps normal, il se serait vraisemblablement aventuré dans le campement de façon plus prudente. L’enquête sur les causes de l’attaque dévoile aussi des « erreurs ». Le système de protection du campement était un fil muni d'un système d'alarme qui n'a pas fonctionné lorsque l'animal y pénétra et le fusil ne fonctionna pas quand les leaders du groupe ont essayé de s’en servir. L’ours a cependant été abattu d’une balle dans la tête par un des blessés qui a pu ramasser un cartouche au sol et armer le fusil. Ironie du sort, le groupe des jeunes Anglais était avec nous dans le camping de Longyearbyen au début du voyage…

Cette tragédie relance le débat sur la possession territoriale entre l’homme et l’animal. L’ours est chez lui ici et est protégé. Ils sont éstimés à 3000 sur l’archipel et peuvent arriver de n’importe ou. Très bon nageur (une femelle équipée d'un émetteur a nagé 700 km en 10j en 2008…) et très endurant (cette même femelle à ensuite parcouru 1800 km sur la glace…) l’ours court aussi très vite (50km/h en pointe ) et c’est un prédateur. Pas le droit à l’erreur. Même s’il ne cherche pas à manger de la chair humaine qui n’est pas assez grasse pour lui, il peut cependant y « gouter » par erreur et cela a des conséquences catastrophiques. Les attaques mortelles sont cependant très rares. 5 sont répertoriées depuis 1975, mais le danger plane toujours dès que l’on pose le pied à terre. Le gouverneur du Spitzberg a même ordonné le port obligatoire du fusil en dehors des zones surveillées. Ce drame appris lors de notre retour à Longyearbyen a mis un froid dans la petite ville et dans le groupe, mais n’a pas entamé notre motivation de continuer sur une autre zone. Ici, pour les déplacements, le bateau est roi. Les routes sont quasi inexistantes. On se retrouve donc au camping à élaborer un autre plan. On décide d’aller vers les glaciers d’ Ymerbukta de l’autre côté de l’Isfjord avec le Polargirl, un navire côtier. Et là l’enchantement commence. Nous posons le camp vers le glacier Esmark et nous approchons la langue glacière en kayak. Navigation tout en douceur et en contemplation au milieu du brash, les morceaux de glaces velés par le glacier. Un phoque se fait dorer la pilule sur un glaçon. Nous l’approchons en file indienne jusqu’à quelques mètres. Magique ! L’approche doit être lente, car il ferme les yeux par intermittance et doit toujours rester sur ses gardes, car en période estivale c’est en se cachant derrière les glaces que l’ours approche sa proie et plonge pour ressortir sous son nez et le croquer. Le lendemain une bonne rando nous emmène sur la pointe de Trygghamna. Nous y croisons des rennes, des renards et de nombreux oiseaux. Vers la pointe la tension est à son comble. Il y a des névés, donc des lieux potentiels où les ours viennent s’allonger pour garder le frais et de nombreux gros rochers. C’est d’ailleurs dans cette zone que les gardes côtiers « perdent » de vue les ours qui traversent le fjord. La guide nous précède fusil en main pour ouvrir l’ascension. Plus de peur que de mal, à part un groupe de rennes et deux renardeaux, pas d’ours sur les névés. Nous arrivons au dessus de la pointe avec une vue sur le fjord à couper le souffle ! Ouf ces quelques jours ont sauvé notre voyage.

 

Au Spitzberg comme dans beaucoup d’autres destinations arctiques, les paysages semblent se ressembler, mais n’ont pas du tout les mêmes attraits esthétiques. Certaines zones sont plutôt pauvres et monotones et d’autres offrent des panoramas et une diversité bien plus importante sur un périmètre plus restreint. C’est un énorme avantage, car en kayak les déplacements restent dans l'absolu assez lents. La magie des lieux tient beaucoup à la qualité de la lumière qui les éclaire, car, à elle seule, elle peut transcender un paysage plutôt morne. En été le soleil tourne sur l’horizon et offre des aubes et des crépuscules très longs offrant ainsi des lumières rasantes et chaudes, et c’est ce sont elles qui donnent cette magie à ces paysages montagneux où la glace est toujours omniprésente.

 
































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             Stéphane Godin Photographe                      

 

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