INDONESIE : La Java des volcans

Java : l'île la plus peuplée du monde, située sur la ceinture de feu du Pacifique, c'est à elle seule, 45 volcans actifs et 20 cratères et cônes complexes sur 1000 km. Notre périple nous emmènera sur 5 d'entres eux : le plus meurtrier, sur une ile à plus de 45km des côtes, le plus dangereux, il crache des nuées ardentes jusqu'à 30 fois par mois, le plus visité, à qui l'on fait des offrandes, le plus haut avec ses 3676m et le plus étonnant avec ses mineurs, son lac d'acide et ses flammes blues extraordinaires.

A tout cela, il faut rajouter une magnifique explosion vulcanienne devant nos yeux, l'immersion dans des vapeurs d'acide et de souffre mais aussi quelques déboires, comme des indigestions draconiennes, des nuits presque blanches et une belle chute en moto !

 

 Depuis Jakarta, la captitale du pays nous partons en bus pour Carita faire la traversée pour atteindre l'île de l'Anak Krakatau. L'archipel est dans le détroit de la sonde, pile entre Java et Sumatra. Il nous faudra 2h environ avec un bateau de pêche « rapide », c'est à dire extrêmement bruyant pour arriver sur la caldeira de l'ancien Krakatau.
Ce volcan tristement célèbre a explosé en 1883 et la vague du tsunami de 48m fut perceptible jusqu'en Europe. Il fit des milliers de morts... Aujourd'hui, son « fils », l'Anak Krakatau est composé de 3 cônes volcaniques. C'est le Rakata qui grossit de plus de dix centimètres par semaine que nous allons gravir. La zone est protégée et dangereuse mais l'ile est agréable et c'est dans la forêt équatoriale que nous posons le camp. Quelques heures avant la tombée de la nuit, nous entamons l'ascension des 813m du cratère. La cendre grise laisse vite la place à des blocs de lave noire aux arêtes acérées et la pente devient plus soutenue vers le sommet. La chaleur se fait sentir et le sol devient brulant. Le soufre qui sort en panache du cratère rend la respiration difficile et le masque devient vite nécessaire. Les derniers rayons du soleil disparaissent derrière la fumée de soufre et la nuit devrait laisser apparaître le rougeoiement de la lave sous nos pieds. Elle est là, ça ne fait aucun doute, car les embouts de mon trépied ont fondu et sans gants, on se brule littéralement les mains ! Après plusieurs heures d’observation, c'est ensuite à la nuit noire, à la frontale, que nous redescendons au camp pour passer quelques heures de sommeil avant de se lever à l'aurore, photographier et explorer l'ile aux belles lueurs de l'aube.

Si l'ascension de l'Anak Krakatau n'est pas trop difficile, il en est tout autre pour le Mérapi. Le second volcan fait plus de 2910m d'altitude et est considéré comme le plus actif et le plus dangereux d'Indonésie. Son arme, les nuées ardentes...(de 1 à 30 par mois) Et des cascades de blocs de lave rougeoyantes. Il est malheureusement situé dans la zone la plus peuplée d'Indonésie, non loin d'Yogyakarta. En 2010 il tua près de 400 personnes et sa dernière éruption a eu lieu en 2013, seulement quelques mois après notre visite ! Sur ses flancs prolifèrent des plantations, car la richesse de ses cendres permet de faire plusieurs récoltes de riz par an, mais lors de fortes pluies, l'eau se mélange à la cendre pour former des lahars qui dévalent dans la vallée emportant tout sur leur passage. Les cicatrices de ces torrents de boue sont bien visibles dans le paysage, heureusement, nous sommes en période sèche, ça devrait aller...
On plante notre « camp de base » dans un village à 1000m d'altitude au pied de sa face nord et on entame l'ascension vers 23h00 pour arriver au sommet une heure au moins avant le lever du jour. La première partie est soutenue, de nuit, à la frontale, droit dans la pente et la poussière. Pas de sentier doux, zigzagant horizontalement, mais des hautes marches se succédant entre les racines des arbres sans vraie zone de replat. En une heure on a avalé les 700 premiers mètres de dénivelé avec des sacs bien chargés... Vers 2h du matin nous arrivons au pied du cône sommital, dans un environnement totalement dénudé. Les 400 derniers mètres se font dans des rochers instables sur une pente moyenne de 40°, mais une fois au sommet... le spectacle est magnifique ! Le cratère est gigantesque et on distingue le dôme de lave rougeoyant tout au fond. Il croît lentement et représente un volume actif de 70 millions de m3 d'andésite à 800°C. Une fumée sulfurée remonte les parois verticales alors que le soleil se lève au-dessus d'une mer de nuage et offre un panorama grandiose sur les autres volcans environnants.

Le troisième volcan sur notre liste est le Bromo. Pour s'y rendre, on prend l'avion, direction Surabaya puis en bus pour la caldeira du Tengger. Même s'il est considéré comme dangereux, c'est sans aucun doute le plus visité d'Indonésie. Son accès facile permet aux hindouistes, en décembre, lors des cérémonies du Késodo, de jeter des offrandes dans son cratère. Le cône est actif avec une fumée régulière.L'ascension ne demande que 45 min depuis la base et on monte au point culminant en longeant la crête sommitale. La vue plongeante sur le gouffre béant est saisissante.
Pour y accéder, il faut déjà descendre dans la caldeira et traverser une plaine sablonneuse jusqu'au pied du volcan. De nombreux jeunes Javanais proposent de faire ce trajet en moto. Pour gagner du temps, on prend chacun un « pilote », le mien n'est pas très chevronné. Au retour, en pleine nuit, il zigzague tant bien que mal dans le sable profond et fini par planter la fourche dans une ornière. On se prend une belle « gamelle » avec tout le matériel photo dans le dos. On relève la moto qui repart sans problème, j'ai juste une contusion au genou et une brulure du pot échappement sur le mollet droit...
Le lendemain, on repart en Jeep cette fois pour traverser toute la caldeira en longueur direction le village de Ranopani. La première partie de la piste est sablonneuse et bonne, mais ça n’empêche pas le second pilote de faire un vrai tête à queue non désiré, ni maitrisé, à bonne vitesse ! Heureusement sans faire de tonneau... mais après ça se complique, la piste devient totalement défoncée sur les contreforts, partiellement pavée, avec des nids de poules géants. Au sommet, on lâche les jeeps pour prendre à nouveau des motos. C'est le meilleur moyen de rejoindre le village en contrebas. La route goudronnée est parsemée de nids de poules et le goudron est justement très rare, mais mon jeune pilote, plus chevronné, gère très bien la situation et on arrive sans encombre, au crépuscule, dans les petits bungalows rustiques du chef du village pour y dormir. La musique hurle à tue-tête dans la rue, presque toute la nuit. Il y a un mariage. Difficile de trouver le sommeil même avec des boules quies. Aïe, l'ascension du Sémeru prévue le lendemain est de loin la plus difficile de toutes...

En début d'après-midi nous ne sommes que trois à partir pour le sommet. Bambang le guide Indonésien, Christophe et moi. Deux porteurs vont nous amener le matériel de bivouac jusqu'au camp de base d'Arcopodo au pied du cône terminal. Nous attaquons le trek avec « seulement » le minimum vital c'est-à-dire un sac photo bien rempli et de l'eau !
Le début de la rando se passe au milieu des plantations, puis un long périple dans la foret verdoyante où l'on a croisé quelques singes, pour ensuite arriver après 3h30 de marche au lac de Ranu Kumbolo. Le lac est splendide, mais les berges sont jonchées de papiers et de plastiques divers. C'est dommage, mais la nouvelle génération d'Indonésiens commence à prendre en compte la protection de l'environnement. Il reste un gros travail éducatif qui ne portera ses fruits que dans quelques années. Nous profitons malgré tout des berges pour faire une pause. On reprend la marche par un petit col au-dessus du lac pour redescendre ensuite sur un grand plateau que l'on traverse jusqu'à la forêt. Il faut grimper encore pour atteindre le camp de base d'Arcopodo à 2 950m d'altitude. La nuit tombe, on installe les tentes avant de manger un repas autour d'un feu de camp. On se couche de bonne heure, car on se lève à 1h30 pour arriver comme toujours avant le levé du soleil. Manque de chance, c'est un jour férié ici et de nombreux jeunes randonneurs sont venus sur place et font la « fête » toute la nuit. On ne dort donc pas...
Le départ se fait à la lampe frontale et après une courte marche en forêt, on arrive au pied du cône de cendre et de blocs de lave. Il reste 800m de dénivelée, soit 3 à 4 h de montée dans une pente soutenue. L'ascension est assez pénible, car les pieds s'enfoncent dans la cendre, comme dans du sable. La meilleure technique est donc de planter le talon en premier pour faire descendre la cendre sous la semelle pour « s'appuyer » dessus, et il faut le faire à chaque pas... Manque de chance pour moi, le repas de la veille n'est pas passé et c'est avec une grave indigestion que j'ai attaqué la montée. Nausées, sueurs froides, gargouillements, coliques se sont enchainées jusqu'au sommet. Heureusement que Christophe avait avec lui des cachets qui m'ont littéralement permis de finir l'ascension....
Arrivés au sommet, c'est tout d'abord un paysage lunaire qui nous attend. Une immense plaine de cendre parsemé de cailloux. Il fait froid, environ 1°c et le vent souffle assez fort. Nous sommes au point culminant de toute l'Indonésie à 3 676m. Le cratère est encore à une vingtaine de minutes de marche. Le soleil se lève à peine quand nous y arrivons. Un bruit fort, semblable à celui d'un réacteur d'avion témoigne de l'activité permanente du volcan. On distingue la lave rougeoyante et on assiste à une première petite éruption qui laisse échapper un court nuage de soufre. Une vingtaine de minutes plus tard, alors que tout le sommet est baigné par la lumière rasante du soleil levant, une énorme explosion nous surprend littéralement. Nous sommes juste en bordure du cratère, mais le vent ne vient pas vers nous, le lourd nuage de soufre part sur notre droite en volutes orangées. Magnifique ! Heureusement qu'il n'y a pas eu de projection de lave et de roche... Ce volcan est en éruption permanente depuis l'éruption qui a débuté en 1967 et qui se poursuit, sans interruption, jusqu'à aujourd'hui. C'est une activité explosive généralement peu importante, oscillant entre le style Strombolien et Vulcanien. Mais parfois l'activité peut devenir paroxysmale, et générer d'imposants panaches accompagnés de coulées pyroclastiques et de lahars. Pour nous, les panaches suffisent bien !
Nous sommes restés encore une bonne heure trente pour attendre une autre explosion. Elle fut longue et continue et bien moins grandiose que la précédente, mais que c'était beau quand même !
A contrecœur nous quittons le sommet et il ne nous faudra que 30 minutes pour descendre en courant les 800m du cône jusqu'au camp de base, puis près de 5h jusqu'au village, soit près de 10h de marche dans la même journée. Le Sémeru se mérite...

De retour à Ranopani, nous prenons la route pour Paltuting, notre point de départ pour le dernier volcan et sans doute, le plus attendu de tous, le célèbre Kawah Ijen. Nous posons les affaires dans un hôtel et le soir même, vers 23h00, nous partons les deux avec Régis pour le cratère. Le volcan est un cône constitué de blocs et de cendre dont le fond est occupé par le plus grand lac d'acide sulfurique du monde. 400 m de profondeur 37 millions de m3 et une température moyenne de 35°c. En bordure du lac, une zone fumerollienne crache du dioxyde de soufre, du sulfure d'hydrogène et de l'acide chlorhydrique. La condensation de cette vapeur forme du soufre solide que les mineurs récupèrent et remontent sur les 240m du cratère avec des charges de 70 à 90 kg sur l'épaule puis marchent encore 18 km jusqu'à l'usine de Licin. Un travail de forçat pour un salaire misérable mais payé le double des travailleurs des champs. Les 400 mineurs viennent tous du même village, et sont fiers de leur travail et respectent vraiment le volcan.
Les voir monter leurs charges est déjà un spectacle en soi, mais c'est sans aucun doute la nuit que le spectacle est le plus hallucinant. En s'enflammant, les gaz sulfuriques à haute température produisent des torchères d'un bleu électrique qui peuvent atteindre jusqu'à cinq mètres de hauteur. Le panache de fumée est irrespirable et les mineurs n'ont bien souvent qu'un simple chiffon humide dans la bouche.
Il faut compter entre 3 et 4 h de marche pour atteindre le lac acide et l'arrivée sur le bord du cratère est surprenante. Le ciel étoilé et la pleine lune donnent un effet dramatique et irréel au paysage. Le lac scintille et le bleu des flammes vibre au fond du gouffre. La descente par un sentier escarpé, à la frontale, augmente encore ce sentiment d'être tout simplement sur une autre planète !
Nous croisons parfois quelques mineurs, chaussés de bottes en plastique, en pantalon et chemise courte transportant les paniers chargés à bloc. Arrivés en bas, le vent souffle en rafales et fait tournoyer le nuage de soufre. Quand on est pris dedans, c'est tout simplement l'enfer. L'obscurité devient totale et il faut attendre qu'il se déplace pour pouvoir à nouveau respirer. L'apnée est plus ou moins longue, mais si par malheur, on est à bout de souffle et que l'on aspire une bouffée, le souffre nous pique la gorge et brule littéralement le nez et les poumons. C'est un peu comme vouloir respirer dans l'eau, ça ne marche pas !

Les flammes émettent un sifflement, comme un gaz sous pression qui s'échappe et avec l'arrivée du soleil, cet univers gris-bleu, devient multicolore. Le lac acide est vert et les rochers soufrés vont du jaune vif à l'orange foncé. Les flammes bleues deviennent invisibles et les parois du cratère prennent toutes les teintes d'ocre sous un grand ciel bleu...
Cette première nuit et matinée dans le cratère nous incitent à revenir la nuit suivante. On part encore plus tôt et je reste au contact des mineurs pour les photographier sans flash à la seule lumière des flammes et de la lune. J'ai tout simplement l'impression d'être immergé dans un roman de Balzac, dans un autre temps, une autre époque. La nuit passe rapidement et nous décidons d'aller voir le levé de soleil sur le haut du cratère. Malheureusement, on ne voit pas le lac à cause de la fumée sulfurée qui remonte le long des parois. L'ambiance est quand même magique avec ces arbres tortueux et dénudés et cette ligne de crête abrupte qui tombe dans le lac.

Nous finissons les derniers jours de ce voyage sur Bali. Les rizières, les belles plages et le tourisme... Mais nous regrettons bien vite la rudesse, la beauté et la majesté des volcans Javanais. On était bien là-haut la tête au dessus des nuages... de soufre !

 
































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             Stéphane Godin Photographe                      

 

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